Classement par ordre alphabétique d'Auteurs
Auteur : Paul Allegraud
C'était
exactement ce que je détestais, dans ce boulot. Quand on arrivait trop tard. Et
tous les ans, à cette époque, on en avait une dizaine, comme elle, qu'on ne
verrait plus couchés dans l'abri précaire d'un porche, refusant celui, tout
aussi éphémère, mais beaucoup plus sûr, d'un de nos centres d'accueil. Encore
une fois, l'hiver s'était allié à sa cousine maléfique, la misère, pour ôter la
vie d'un de ces « tombés du monde ». Aujourd'hui, c'était Marguerite.
Marguerite,
ce n'était pas son vrai nom. On l'appelait comme ça, parce qu'à la belle
saison, elle ramassait ces fleurs sauvages, sur les bords des talus, qu'elle
plantait dans ses cheveux. Un peu de coquetterie dans son monde moche. Quand on
l'avait vu débarquer sur les trottoirs de la ville, il y a cinq ou six ans,
elle traînait dans son sac quelques vêtements de prix, vestiges d'un passé
flamboyant. On dit qu'elle avait gagné et perdu des fortunes, hantant les
casinos de Deauville ou de Monaco, au bras de bellâtres fortunés et méprisants,
ces puissants au cœur vide qui l'avaient rejetée pour des plus jeunes qu'elle,
quand le poids des années et l'abus de champagne avaient alourdi ses traits.
Ses robes de soirées étaient devenues haillons, et les carrosses rutilants, « made
in Italy », n'avaient même pas eu la décence de se faire citrouille. Ils
l'avaient déposée là, sur le bord de la vie, avec du mauvais vin pour noyer son
chagrin.
Bientôt,
le médecin viendra, constater son décès, et avant que des hommes, insensibles
au malheur, n'empotent son corps vers une fosse trop commune, je la regarde
encore. Au moins est-elle partie sans douleur, elle paraît détendue. Elle sert
dans sa main un dernier souvenir, la boule noire des joueurs de billard, la
boule numéro huit, la boule de la chance.
Auteur : Didier Brochon
Combien de passants sont-ils allés et venus devant
cette masure, d’évidence à l’abandon, sans se poser la moindre question ?
Mille ? Dix-mille ? Cent-mille ? Plus ?
Il est vrai qu’elle a
tout du taudis insalubre et vide, cette maison à moitié effondrée, fissurée de
partout, un gros arbre s’étant couché par la tempête sur la toiture et l’ayant
fait plier, dans un enchevêtrement de gravas, de racines, de terre, de pierres
et de planches. Il n’y a jamais eu de clôture à cette ruine, située en outre dans
un vrai courant d’air permanent.
Personne, jusqu’à ce
jour où quelqu’un eut l’idée d’y suivre son chien, détaché de sa laisse, et qui
désirait se soulager. Petite à l’origine, la masure ne comptait que deux
petites pièces, un vague coin qui aurait pu servir de cuisine car il y avait
une vieille cuisinière déglinguée, et un coin toilettes, si l’on peut dire, totalement dévasté et cassé, le sol jonché de
morceaux de porcelaine.
Quelle ne fut pas la
stupeur de cet homme, ayant lâché son chien, de découvrir aussitôt, comme recroquevillé,
dans une couverture qui ne suffisait pas à le protéger du froid,pieds nus à
l’air, adossé par ailleurs à un pan de
mur abîmé mais qui l’abritait du vent, reposant non pas à-même le sol mais sur
un amoncellement de couches de tissus et de matériaux divers superposés, un
malheureux, les mains crispées près du visage, le teint livide, le souffle imperceptible,
un objet en forme de boule à la main, serré comme un trésor !
Le propriétaire du
chien pensa que l’homme était mort, car rien ne semblait bouger, et même le
chien qui jappait n’y changeait rien. L’inconnu était tellement cadavérique, l’endroit
était tellement sordide, que le promeneur le crut réellement mort depuis
longtemps. Mais il eut tout de même l’instinct d’appeler, tout en poussant
légèrement le corps, du bout des doigts.
–
Hééé ! Hô ! Monsieur !!!
Il sursauta et fit un
bond en arrière ! L’homme venait d’entrouvrir un œil et, en bougonnant, il
répondit, d’une voix rauque :
–
Quoi ! Qu’est-ce qu’y a ? Pouvez- pas m’laisser tranquille,
non ? Fichez le camp !
Notre homme
décontenancé rattacha la laisse de son chien, puis il sortit des lieux, non
sans se promettre de signaler et décrire cette présence à la mairie du village.
Auteur : Charles Daney
La femme pauvre.
Elle est à la rue. Les nattes sur lesquelles elle dort sont
bien minces et le pavé bien dur. Sous une couverture qui l’isole plus sûrement
des hommes que du temps, la pauvresse se recroqueville. Le froid la saisit, la
pluie la frappe mais ce qu’elle supporte le moins, c’est le mépris de ceux qui
passent, le regard dur et lointain, la bouche amère, en faisant semblant de
l’ignorer. C’est pour cela qu’elle se tasse, qu’elle se cache sous sa
couverture trop courte, tel un animal qui craint le froid, la pluie et les
hommes. Ses pieds nus dépassent sous les franges de la couverture mais elle
tient à la main une boule lisse et ronde, son seul trésor. Elle la garde avec
elle comme l’enfant pour s’endormir. Cette boule est le seul objet où elle
puisse encore sentir, dans l’infini de sa détresse, ce léger regain d’espérance
qui permet de dormir en paix.
Auteure : Émeraude Dumont-Couturier (gagnante de ce thème)
Une jeune fille
S'est
endormie
Sur le
trottoir
Abandonnée
La rue
Est sa
maison
Et le
ciel
Est son
toit
Pelotonnée
Sous une
couverture
Masquant
Ses
haillons
Et sa
peur
Le
brouillard rôde
Alentour
Elle se
nomme « Misère »
Perdue
Sa
famille
Ne la
cherche plus
Qu'a-t-elle
subi
Qu'a-t-elle
fui
Pour
devenir ainsi
La proie
Du froid
Et de la
solitude ?
Elle
dort
Sans
rêver
Enfouie
dans le néant
Et
pourtant
Son
visage
Baigné
de lumière
Possède encore
La douceur de
l'enfance… Auteure : Barbara Hocquette
Miséricorde
a-t-on l'habitude d'entendre dire. Et c'est bien vrai car quand on se retrouve
dans cette situation de déchéance extrême où plus rien ne peut venir
sauvegarder notre dignité et bien on réalise à quel point cette corde est bien
là, attachée à nos pieds.
Elle
ne semble pas visible à tout le monde car beaucoup d'entre nous pensent que si
certaines personnes en arrivent à ce stade ultime, c'est sûrement qu'elles en
sont en partie responsables!
Alors c'est
vrai que parfois des perches se tendent et surtout des mains se lèvent pour
venir nous donner ce que parfois on n'a même plus le courage d'aller chercher :
de la nourriture, des vêtements chauds et surtout un sourire... Celui que
parfois on ose tout de même encore esquisser quand un chaton malin vient nous
caresser les pieds : ceux qui sont ankylosés par le froid si ce n'est pas
parfois la gangrène qui commence son avancée jusqu'à ce que finalement, vous ne
sentiez même plus le sol dur et sans vie sous vos pieds.
Alors oui,
la misère c'est autre chose que d'être là, à se demander ce qu'on va bien
pouvoir faire à dîner ce soir à nos enfants et surtout si ce week-end, on sera
invité par les Dupont ou les Durand...
Non la
misère, ça se vit et surtout ça se voit et quand on sait que certaines
personnes n'ont même plus la force de se cacher, ne serait-ce que pour faire
leurs besoins primaires, et bien on se dit qu'on est vraiment mal entouré pour
laisser sur le bord de notre chemin pas toujours doré, certes, mais tout de même
argenté, quelques pauvres gens de ci, de là mourir de faim et de froid... Et
surtout ne plus avoir le courage de dire bonjour et au revoir tellement ils
craignent quand la nuit tombe de ne plus avoir la force d'ouvrir leurs yeux et
de partir dans l' ombre.
Alors prions
pour que tout cela ne soit un jour qu'un mauvais rêve, une histoire qu'on
raconterait à nos enfants en leur disant : "mais tu sais ce n'est pas vrai
car la misère c'est comme les mangeurs d'enfants, cela n'existe que dans les
contes de fées et de chevaliers!"
Et pourtant,
parfois on se laisse surprendre à détourner le regard, quand on voit au loin
quelqu'un allongé par terre qui finalement n'aurait peut-être juste besoin que
d'un peu de réconfort...
Misérable
ne veut pas dire méchant, cela veut juste dire : "voyez ce qui pourrait
vous arriver si un jour vous aussi vous oubliez de rentrer dans le
système" ...car pas de travail pas d' argent et sans argent pas de vie
décente.
Alors ne
laissons plus les gens croire que cela ne pourrait pas nous arriver car seule
la solidarité peut nous préserver de la précarité, quand tous les autres moyens
ont déjà été mis en place en nous et autour de nous.
Que les
cœurs s'ouvrent sur un monde en paix et en harmonie pour ceux qui savent que
parfois tendre la main, que ce soit en haut ou en bas, peut sauver bien des
vies et de l'estime de soi de surcroît .
Plus
personne ne devrait souffrir de malveillance car si la maltraitance est
désormais sanctionnée, le fait de ne pas ou plus savoir venir en aide à son
prochain devrait être remis au goût du jour de certains manuels scolaires! On
ne dit pas de devoir donner sans jamais recevoir mais si au moins chacun
donnait ce qu'il peut à celui qui en a tant besoin et bien on ferait sûrement
bien des heureux et moins de personnes allongées sur les trottoirs.
Que ce
message ne soit qu'un slogan contre la misère car un jour c'est certain elle
sera bannie de nos prières puisque tout le monde aura de quoi se nourrir
dignement, en tous cas c'est la promesse que j'essaye de faire tous les jours à
mes enfants : garder l'espoir d'un monde juste et vivant pour que chacun y
trouve sa place et surtout un rôle à jouer.
Amyah Labrèche-Docq
Le vieil homme
Il est là, assis sur le banc qui se trouve au fond du parc, celui sous cet
arbre centenaire que la bise d’automne a dénudé. Le sol est jonché de feuilles
mortes et le brouillard enveloppe le parc de son mystère. Il est encore tôt et
le réverbère est allumé, jetant une pâle lumière qui s’efforce tant bien que
mal de concurrencer l’anémique soleil qui se réveille tout doucement. Comme à
chaque matin depuis maintenant deux ans je le vois, le dos courbé, les yeux
fixés sur un passé lointain peut-être et ses mains noueuses posées sur un
pantalon élimé qui a vu des jours meilleurs. Il semble ancré dans ma réalité et
j’aimerais en savoir plus sur lui. Ce matin, il grelotte comme si sa vieille
gabardine ravaudée en maints endroits n’arrivait plus à réchauffer ses vieux
os.
Je m’approche tout doucement. J’ai acheté deux chocolats chauds. Je
m’assoie tout près de lui, à l’autre bout du banc. Il lève la tête et me
regarde. Je lui tends la tasse fumante. Un sourire timide s’installe sur ses
lèvres. Il tient la tasse tout contre lui, comme si elle réchauffait son corps
frissonnant. Oh ! Comme il est vieux ! C’est la première fois que je
le vois de si près, c’est la première fois qu’il lève sa tête et là je vois sa
figure émaciée tourmentée de rides sur une peau parcheminée. Il est vieux, très
vieux… mais est-ce que sa vieillesse en est une d’âge ou est-ce seulement la
marque d’une grande fatigue de vivre ? Est-ce le temps qui l’a marqué ou
est-ce le malheur qui l’a ratatiné ?
Mais ses yeux ! Oh ! Ses yeux d’un bleu-gris aussi pâle qu’un
ciel d’automne me captivent. Puis, il me dit merci. Sa voix de baryton me fait
vibrer à tel point que j’aimerais l’entendre me raconter des histoires. Comme
s’il avait entendu ma demande muette, il se met à me parler.
D’une voix vibrante, il me raconte sa vie, ses bonheurs, ses joies et ses
pleurs. Il me parle de sa femme chérie qui est morte quelques années
auparavant, de son travail qu’il adorait, de sa vie bien remplie jusqu’au jour
où – il y a six ans – il rencontra cette femme diabolique. Elle voulait qu’il
vienne vivre avec elle, elle voulait son argent mais lui, fin finaud lui dit
non et lui tourna le dos. "Vengeance" qu’elle lui hurla !
"Je te détruirai !" Furent les dernières paroles qu’il entendit.
Elle alla trouver un ami qui travaillait aux pensions et inventa des histoires
remplies de mensonges. Vu qu’il était un homme puissant et qu’il était un de
ses amants, il voulu lui plaire et sans attendre, coupa de moitié la pension du
vieil homme. Investigation qu’on lui dit, il faut vous investiguer, faire des
recherches et prouver vos mauvaises intentions.
Quoiqu’il dise, on ne l’écouta pas. Il est maintenant ruiné, il a tout
perdu, logis et souvenirs. Elle a réussi sa vengeance et le vieil homme vit
maintenant dans la misère. Quelle honte pour un pays de faire fi de la loi, de
laisser mourir de faim ses aînés et de laisser vivre dans une pauvreté abjecte
ceux qui ont bâti le pays à la sueur de leur front. Je l’ai pris par la main et
l’ai amené chez-moi où il vit maintenant, dans la suite des invités.
Il est là, assis sur le banc qui se trouve au fond du parc, celui sous cet
arbre centenaire que la bise d’automne a dénudé. Le sol est jonché de feuilles
mortes et le brouillard enveloppe le parc de son mystère. Il est encore tôt et
le réverbère est allumé, jetant une pâle lumière qui s’efforce tant bien que
mal de concurrencer l’anémique soleil qui se réveille tout doucement. Comme à
chaque matin depuis maintenant deux ans je le vois, le dos courbé, les yeux
fixés sur un passé lointain peut-être et ses mains noueuses posées sur un
pantalon élimé qui a vu des jours meilleurs. Il semble ancré dans ma réalité et
j’aimerais en savoir plus sur lui. Ce matin, il grelotte comme si sa vieille
gabardine ravaudée en maints endroits n’arrivait plus à réchauffer ses vieux
os.
Je m’approche tout doucement. J’ai acheté deux chocolats chauds. Je
m’assoie tout près de lui, à l’autre bout du banc. Il lève la tête et me
regarde. Je lui tends la tasse fumante. Un sourire timide s’installe sur ses
lèvres. Il tient la tasse tout contre lui, comme si elle réchauffait son corps
frissonnant. Oh ! Comme il est vieux ! C’est la première fois que je
le vois de si près, c’est la première fois qu’il lève sa tête et là je vois sa
figure émaciée tourmentée de rides sur une peau parcheminée. Il est vieux, très
vieux… mais est-ce que sa vieillesse en est une d’âge ou est-ce seulement la
marque d’une grande fatigue de vivre ? Est-ce le temps qui l’a marqué ou
est-ce le malheur qui l’a ratatiné ?
Mais ses yeux ! Oh ! Ses yeux d’un bleu-gris aussi pâle qu’un
ciel d’automne me captivent. Puis, il me dit merci. Sa voix de baryton me fait
vibrer à tel point que j’aimerais l’entendre me raconter des histoires. Comme
s’il avait entendu ma demande muette, il se met à me parler.
D’une voix vibrante, il me raconte sa vie, ses bonheurs, ses joies et ses
pleurs. Il me parle de sa femme chérie qui est morte quelques années
auparavant, de son travail qu’il adorait, de sa vie bien remplie jusqu’au jour
où – il y a six ans – il rencontra cette femme diabolique. Elle voulait qu’il
vienne vivre avec elle, elle voulait son argent mais lui, fin finaud lui dit
non et lui tourna le dos. "Vengeance" qu’elle lui hurla !
"Je te détruirai !" Furent les dernières paroles qu’il entendit.
Elle alla trouver un ami qui travaillait aux pensions et inventa des histoires
remplies de mensonges. Vu qu’il était un homme puissant et qu’il était un de
ses amants, il voulu lui plaire et sans attendre, coupa de moitié la pension du
vieil homme. Investigation qu’on lui dit, il faut vous investiguer, faire des
recherches et prouver vos mauvaises intentions.
Quoiqu’il dise, on ne l’écouta pas. Il est maintenant ruiné, il a tout
perdu, logis et souvenirs. Elle a réussi sa vengeance et le vieil homme vit
maintenant dans la misère. Quelle honte pour un pays de faire fi de la loi, de
laisser mourir de faim ses aînés et de laisser vivre dans une pauvreté abjecte
ceux qui ont bâti le pays à la sueur de leur front. Je l’ai pris par la main et
l’ai amené chez-moi où il vit maintenant, dans la suite des invités.
Auteure : Béatrice Riot
Misérable,
fauchée et paumée, Colette attend des jours meilleurs
Indigence,
mouise et panade lui collent à la peau
Sur son banc
de fortune sous le regard indifférent des passants
Elle aurait
pu être la Cosette de Victor Hugo à une lettre près
Rêvassant à
un Jean Valjean protecteur et à un Marius bienveillant
Elle en
marre de sa vie de traîne-savate et de crève-la-faim.
Auteure : Axelle Yelma
Pauvre femme
La vie ne m’a pas
fait de cadeau,
La fatalité m’est
tombée dessus
Dès ma venue
Je suis une pauvre
femme, portant un fardeau.
Toi là, passant, qui
jette un regard dédaigneux
Ç’aurait pu être toi
Toi là, aristocrate
au regard ennuyeux
Ç’aurait pu être moi
Je ne sais si c’est
une épreuve
Ou une punition de
Dieu
J’aurais aimé naître
souris ou oiseau radieux
Car eux ne
connaissent pas d’épreuve
Toi là, jolie et
jeune femme sans sourire
Ç’aurait pu être moi
Toi là dont la vie a
tout donné, et qui soupir
Ç’aurait pu être moi
J’aurais aimé être
une sorcière
Sans valet
Elle arrive souvent
à ses frontières.
Bravo à toutes et à tous !
RépondreSupprimerMerci pour votre participation et à bientôt pour le prochain concours
je l'espère ! Je vous trouve tous EXCELLENTS !
Vous avez choisi un thème pas facile du tout. L'émotion est là je vous l'assure. Pour moi vous êtes tous des gagnants.
Chantal
Secrétaire Editions Plumes et Talents