mercredi 20 mai 2015

Tous thèmes confondus


Auteur : Françoise Louis Chambon (gagnante pour ce thème)




Quand j’étais petite, je vivais à la campagne dans une maison qui sentait bon le café chaud et le feu de bois. Elle avait appartenu à mes arrière grands-parents dont un tableau, d’une précision photographique, immortalisait le souvenir dans la salle à manger. Lorsqu’il y avait de la neige, à quelques mètres des vitres de la cuisine, il m’arrivait de voir un renard " par l’odeur alléché ", comme dans la fable que j’avais apprise à l’école. Je l’appelais Monsieur Renard, mais je n’avais pas le droit de lui parler. Il me regardait l’œil suppliant, mais je n’avais pas le droit de le regarder. Il me disait : " Jolie petite fille laisse-moi approcher, aime moi ". Mais je n’avais pas le droit de l’aimer.

Moi, je rêvais du prince charmant et tout le monde sait que le prince charmant peut se déguiser en crapaud ou en renard… Tout le monde, sauf ma mère. Alors, je faisais semblant de ne pas le savoir non plus. Mais j’avais tout prévu pour le jour où IL viendrait. Dans ma chambre, sans qu’elle me voie, je me changeais en princesse. J’enfilais le costume qu’elle avait cousu pour le spectacle de l’école et j’attachais à mon cou le collier qu’elle gardait enfoui dans le tiroir de sa commode. Je ressemblais à Sissi l’impératrice, IL ne pouvait pas se tromper…

Quand le printemps revenait verdir le jardin, je me cachais derrière les bosquets pour rêver à ma vie d’après. Les papillons dansaient la farandole autour de moi. Il y en avait de toutes les couleurs, des blancs des bleus et même des jaunes et noirs. C’étaient les plus beaux. Le prince charmant peut aussi se déguiser en papillon jaune et noir. On ne sait jamais ce qui peut se passer dans la tête d’un prince charmant.

Aujourd’hui, j’ai trente-cinq ans et j’écris ces lignes dans la maison désertée. Mon père et ma mère m’ont quittée. De lui, me reste la hache qui lui servait à fendre les bûches pour la cheminée. D’elle, la robe de fiançailles de sa grand-mère adorée. Mon amie Marianne dit qu’elle me va comme un gant. Me serais-je trompée d’époque ? Je n’ai toujours pas trouvé le prince charmant qui me prendrait les mains pour me faire valser les pieds dans l’eau, dans un pays où il fait toujours beau. D’ailleurs, je ne sais plus vraiment si c’est un prince ou une princesse que je cherche. Marianne est si belle et je l’aime tant… Il paraît que les princes peuvent aussi se déguiser en princesses.

Ma route est encore longue, elle commence à peine. De la fenêtre de la cuisine, je n’ai plus jamais vu le renard de mon enfance, ni les papillons jaunes et noirs. Mais je vois toujours le chemin qui mène ailleurs. Enfin, le début du chemin. Après le tournant, c’est peut-être le village, ou un autre monde… Après le tournant, la vie d’après m’attend.




Auteur : Babou la Bretonne 




Ma voisine, Claudine a subit une chirurgie bariatrique source de complications. Elle a été opérée deux fois en soixante-douze heures avec un pronostic vital engagé durant plusieurs jours. De son séjour en réanimation, il ne lui reste que peu de souvenirs excepté ses cris de douleur et de désespoir lorsqu'elle interpelle les médecins présents dans sa chambre :

- Assez ! Laissez-moi mourir. Je vous en prie. Laissez-moi partir, je souffre beaucoup trop. Faîtes ça pour moi de grâce.
Son supplice, malgré les doses de morphine avait duré des jours et des jours en soins intensifs. Le pus s'écoulait de son corps par les drains. L'atmosphère de la chambre était oppressante, suffocante et nauséabonde.

Un mois et demi plus tard, de retour chez elle, affaiblie, fatiguée et perplexe elle songe : pourquoi, alors qu'elle l'avait tant requise, la mort n'était-elle pas venue réclamer son dû ? Ce n'était encore ni son jour ni son heure. Nouvelle épreuve, nouvelle leçon. Elle se disait cependant en cet instant de bilan qu'elle se sentait quand même bien fatiguée de devoir encore et toujours lutter pour maintenir son cap.

Ce qui lui était le plus difficile à me dire étaient ces ultimes détails de sa vie finissante. Elle s'était posée vers la cinquantaine près de quelqu'un en qui elle avait mis toute son affection mais plus encore toute sa confiance. Elle avait pu dire à cette personne : "toi et moi, je le sais, nous vieillirons ensemble dans la tendresse". Or l'autre n'avait pas supporté les derniers évènements. Elle ne concevait pas plus, d'envisager son propre vieillissement. Il impliquait une certaine dépendance ou du moins ce risque-là. Or elle avait vu ce qui avait failli arriver à Claudine. A ce moment précis, une sorte de prise de conscience lui avait fichu une trouille d'enfer ! Ces considérations, au lieu de les rapprocher, les avaient éloignées. Sa compagne ne cessait de lui répéter depuis vouloir s'en aller et envisageait tout simplement de la planter là. Comment pouvait-elle ? Et dans ces conditions, après lui avoir réappris à aimer ? Elle ressemblait en cet instant, à un petit animal abandonné à l’aube des vacances…

Les yeux devenus humides, elle ajouta qu'elle demeurerait certainement ici : c'était l'endroit que toutes deux avaient un jour choisi pour finir leur vie. Qu’importait si le caprice tardif de l'autre remettait tout en cause. Elle se faisait trop ancienne pour repartir encore de rien, recommencer une nouvelle vie et pouvoir espérer. D'ailleurs, avait-elle encore quelque chose à espérer, elle qui avait si souvent affirmé le contraire ? Elle ne comprenait pas bien ce qui lui avait échappé… Elle avoua sa tristesse et aspirer à davantage de sérénité mais était-ce concevable ? Elle avait aimé, espéré, souffert et souffrait encore… Ma foi, d'autres avaient certainement fait de même bien avant elle. La pudeur ou le chagrin que je soupçonnais mirent un terme à ses confidences : elle ne souhaitait plus s'attarder sur ce qui était "son présent". Présent ? Mais pour combien de temps encore ? Ainsi allait la vie.


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